Ecosse : un Français pour l'indépendance

10 Septembre 2014


Christian Allard a posé ses valises en Écosse voilà maintenant près de trente ans. Le quinquagénaire français est pourtant un peu plus qu'un simple expatrié : il est en effet devenu le 15 mai 2013 député au Parlement d’Édimbourg dans les rangs du SNP (Scottish National Party), le parti indépendantiste. A une semaine du référendum sur l'indépendance, ce parcours original méritait une rencontre.


Le Journal International : Bonjour Monsieur Allard. Pouvez-vous vous présenter ? 
 
Christian Allard : Je suis député pour le SNP (Scottish National Party), le parti indépendantiste écossais, au Parlement d’Édimbourg. J'ai prêté serment le 15 mai 2013, en anglais et en français : c'était une première ! Je suis aujourd'hui membre des comités parlementaires sur l'énergie, le tourisme et l'économie.

JI : Pourquoi l'Écosse ? 
 
CA :  Ça s'est fait « comme ça ». J'ai arrêté l'école assez tôt, et à 14 ans je travaillais dans une entreprise de transport frigorifique. J'étais au cul des camions, c'était dur. L'entreprise a décidé d'ouvrir un bureau à Glasgow : c'est comme ça qu'à vingt ans, je me suis retrouvé en Écosse. Je ne parlais pas anglais, et je n'aurais sans doute pas su placer Glasgow sur une carte avant mon arrivée ! L'anglais est venu en suivant les matchs de football dans les pubs, rien de tel pour apprendre une langue. Et puis j'ai rencontré ma femme, Jackie, une Glaswegienne. Mon amour de l'Écosse est venu juste après. 

JI : Et pourquoi la politique ? 
 
CA : J'ai travaillé dans le milieu de la pêche, et j'ai longtemps été membre d'organisations de marin-pêcheurs. J'ai aussi rejoint un mouvement anti-nucléaire. Mais la politique, je m'y suis vraiment lancé après la mort de ma femme en 2000 : j'avais soudain du temps. Je me suis inscrit sur des forums, et c'est là que certains ont remarqué mon goût pour la politique et m'ont encouragé à m'engager. En 2003, j'ai rejoint le Scottish National Party. D'ailleurs en parlant d'Internet, il faut savoir que le SNP a été l'un des premiers partis à utiliser les réseaux sociaux ! Vous « likez » ma page Facebook ? 

JI : Non.
 
CA : Vous devriez, on a déjà près de 300 likes ! J'ai aussi Twitter et Instagram. Je pense que les réseaux sociaux sont un formidable moyen de faire de la politique. 

JI : C'est quand même intriguant cette engagement pour l'indépendance d'un pays qui n'est pas le vôtre.
 
CA : Mais l'Écosse est mon pays !

Crédit Alice Quistrebert
JI : Vous vous sentez donc autant Écossais que Français ? 
 
CA : Mais bien sûr, pourquoi pas ? Écossais, Français, mais aussi Portugais par ma mère, Européen...

JI : Il n'existe toujours pas de citoyenneté écossaise. En terme juridique, « être Écossais » ne veut rien dire. Qu'est-ce qu'être Écossais pour vous ? 
 
CA : Rien ! Absolument rien. Tout le monde peut être Écossais s'il le souhaite. Être Écossais, c'est vouloir l'être. Et tout le monde peut donc l'être : moi, vous, les gens arrivés hier, ceux qui partent demain...

JI : C'est assez facile à dire aujourd'hui. Mais si l'Écosse accède à l'indépendance, elle distribuera donc la citoyenneté à ceux qui la demandent ?
 
CA : Oui, et pourquoi pas ? 

JI : N'êtes-vous pourtant pas « nationaliste »
 
CA : Vous savez, nous vivons au XXIème siècle. L'appartenance à une nation ne dépend plus de l'identité, de l'accent ou de l'héritage : c'est un choix. Nos identités sont mouvantes, moi-même j'en cumule plusieurs, les frontières se réduisent. Et c'est la vision défendue par le SNP : celle d'un nationalisme global, positif, inclusif, basé sur le choix. 

JI : Cela explique pourquoi le scrutin du référendum est si ouvert : le 18 septembre prochain, tout individu venant de l'Union européenne et ayant étudié ou travaillé au moins un an en Écosse pourra voter. Ne trouvez-vous pas cela injuste ? Le vote d'un étudiant qui retourne dans son pays au terme d'une année d'échange aura autant de poids que celui d'une personne qui a vécu en Écosse toute sa vie et qui y restera probablement.
 
CA : Mais cet étudiant a pourtant le droit de se sentir Ecossais. Pourquoi ne devrait-il pas être concerné par l'avenir de l'Écosse ?

Crédit Alice Quistrebert
JI : Certains jugent que leur vote est moins légitime.
 
CA : Mais ça, c'est leur problème ! Ils sont nationalistes : ils pensent qu'une nationalité se mérite ! Rien ne vous dit que vous ne reviendrez pas vivre en Écosse un jour. Et rien ne vous dit non plus que quelqu'un qui y vit depuis sa naissance ne déménagera jamais. 

JI : Entrons dans le vif du sujet. Pourquoi l'Écosse doit-elle être indépendante ? 
 
CA : Soyons clair : je n'aime pas la voie empruntée par mon pays. La question essentielle, c'est celle de la trajectoire. Depuis des années, Londres veut nous imposer la sienne. Regardez la récente privatisation du Royal Mail, les sous-marins nucléaires qui restent stationnés près de Glasgow en dépit de nos protestations, le gouvernement en place pour lequel les Écossais n'ont pas voté... Et puis voyez aussi la Chambre des Lords : cette assemblée dont les membres sont presque tous nommés par la Reine ! Vous y croyez aujourd'hui ? Nous n'avons plus grand chose à faire avec la Grande-Bretagne, il est temps de se poser la question du modèle que nous souhaitons suivre. Et sur ce point, nous sommes plus proche de la Scandinavie, de l'Allemagne ou de la France. Si l'Écosse vote oui – et je vous rassure, c'est ce qui va se passer – nous essaierons de la rapprocher de ces modèles. 

JI : En aurait-elle vraiment les moyens ? On sait que le pays dispose d'importantes ressources pétrolières (NDLR : la Grande-Bretagne est le premier producteur de pétrole de l'UE. et ses gisements se trouvent essentiellement en Écosse), mais ce n'est pas viable à long terme. L'Écosse a t-elle d'autres ressources ? 
 
CA : Il faut un peu arrêter avec le pétrole ; même sans, l'Écosse est un pays riche. Notre première ressource, c'est notre population : nous avons l'un des meilleurs systèmes éducatifs du monde, gratuit qui plus est. Nos jeunes sont très bien formés, le problème c'est que beaucoup quittent l'Écosse à la fin de leurs études. A nous de leur donner les moyens de rester, et les moyens nous les avons : des infrastructures, des réseaux de transport... On nous a longtemps fait passer pour des pauvres, pour des gens exclus de la modernité et en marge de la Grande-Bretagne. Les gens ont assimilé ces stéréotypes ; l'heure est venue d'inverser la tendance.

Crédit Alice Quistrebert
JI : L'indépendance est plus que jamais au sommaire de l'actualité politique en Écosse. Deux points sont régulièrement soulevés, qui tendent à discréditer la position du SNP. George Osborne (NDLR : le ministre des Finances britannique) a d'abord déclaré que l'Écosse ne pourrait pas utiliser la livre sterling.
 
CA : Des options monétaires, l'Écosse en a trois. La première : créer sa propre monnaie. Peu soutiennent cette option, elle risque de coûter cher. La seconde : intégrer la zone euro. C'est l'option que je préfère, pour être honnête. Mais le SNP a choisi la troisième : conserver la livre sterling, cette monnaie forte et reconnue à l'étranger. Et George Osborne n'est pas en mesure de nous dicter notre conduite : quand les Écossais auront voté « oui », je vous assure que des discussions auront lieu le lendemain à la première heure et que l'Écosse indépendante utilisera la livre sterling. L'objectif de nos adversaires, c'est d'effrayer les électeurs.

JI : Conserver la livre sterling, la « monnaie de Londres », c'est pourtant céder une grande partie de sa souveraineté : pas de contrôle des taux de change ni de la politique monétaire notamment.
 
CA : Parce que vous trouvez que l'on en a, de la souveraineté aujourd'hui ? Toutes les décisions sont prises à Londres, et l'Écosse doit lui emprunter le pas. Garder la livre comme monnaie de l'indépendance n'est pas une cession de souveraineté, puisque la souveraineté est synonyme de pouvoir faire des choix. Si l'Écosse choisit librement la livre, elle ne cède pas sa souveraineté.

JI : Jose Manuel Barroso, entre autres, a également annoncé qu'une Écosse indépendante n'intégrerait pas automatiquement l'Union européenne car certains Etats membres pourraient s'opposer à son entrée.
 
CA : Des Etats membres ? Lesquels ? L'Espagne, comme nous le prédisent nos adversaires ? Bien sûr que non : vous croyez vraiment que l'Espagne voudra priver ses étudiants de l'accès gratuit à nos universités ? (NDLR : les universités écossaises sont gratuites pour les étudiants écossais et pour les ressortissants des pays membres de l'Union européenne, si l'Écosse en sortait, ses universités deviendraient de facto payantes pour l'ensemble des étudiants européens). Et en tant que professionnel du milieu de la pêche, je peux vous assurer que les pêcheurs espagnols se feront entendre s'ils ne peuvent plus pêcher dans les eaux écossaises ! Le 18 septembre, nous voterons sur le fait de nous séparer de la Grande-Bretagne, pas de l'Union européenne ni du reste du monde. Nous sommes Européens, Bruxelles ne va pas nous retirer notre nationalité.

JI : Pensez-vous qu'un « oui » ouvrirait la voie à d'autres régions aux revendications indépendantistes ? La Catalogne, le Pays Basque...
 
CA : Je ne sais pas, et très sincèrement je m'en fiche. Leurs situations sont très différentes de la nôtre, nous n'avons pas de leçon à leur donner. C'est l’Écosse qui jouera son avenir en septembre, l'Écosse seule. Et c'est déjà beaucoup !
 



Bretonne pur beurre cultivant ses racines à l'IEP de Rennes, co – rédactrice en chef du magazine… En savoir plus sur cet auteur